QUARANTE QUATRE LIVRES PAUVRES A DIVES – SUR – MER
Les « livres pauvres » sont nés en 2002. Il ne s’agit pas exactement de livres mais de simples feuillets manuscrits que des peintres « accompagnent ». S’ils ressemblent à des « livres d’artistes », ils s’en différencient sur un point capital : ils sont « hors commerce » et n’ont pour souci que d’être montrés au public le plus large possible (expositions et catalogues).
Les collections des livres pauvres ont longtemps revendiqué le patronage de Mallarmé et se sont placés sous l’aile de Ronsard. Situé à deux pas de Tours, le Prieuré de Saint-Cosme où le poète des Amours s’est éteint, est le lieu de conservation des livres pauvres.
Les premiers ouvrages ont été manuscrits par Jacques Dupin, Yves Bonnefoy, Michel Butor, Annie Ernaux, Michel Tournier, François Cheng, tandis que les rejoignaient des peintres comme Alechinsky, Cueco, Titus-Carmel, Velickovic , Claude Viallat. Et toute la jeune création internationale se trouvait peu à peu impliquée au fil des 2500 ouvrages aujourd’hui réalisés.
La présente exposition met l’accent sur des collections récentes ou en cours. On y trouvera des exemplaires d’une collection en hommage à Joachim Du Bellay, avec des livres de Jean-Luc Parant (poète et peintre singulier qui œuvre tour à tour les yeux ouverts et les yeux fermés), de Philippe Boutibonnes (qui procède par conjonction ou disjonction de points conçus comme des atomes) et de Sylvie Caty.
La modernité poétique ou photographique est célébrée dans une collection « Jacques Vaché » (belle lettre à l’ami d’André Breton par le peintre Stéphane Quoniam) et une collection consacrée à la photographe révolutionnaire « Claude Cahun » (avec le peintre belge Roger Dewint, le poète belge –lui aussi- Jean-Pierre Verheggen et le photographe suédois Christophe Laurentin).
Sur le thème « De l’Allemagne », on trouvera Rilke accompagné par Michel Remaud, puis Hölderlin (qui, à la fin de sa vie, se faisait appeler Scadarnelli) escorté par Philippe Boutibonnes, mais aussi des jeunes poètes comme Hélène Fresnel (accompagnée par Marjolaine Pigeon) et Sanda Voïca (en compagnie d’Adeline Contreras).
« Les Immémoriaux » -collection de prestige en hommage à Victor Segalen- réunit le grand poète Bernard Noël avec la peintre Giraud Cauchy, mais aussi Gilbert Lascault avec Coco Texèdre. Quant à Serge Chamchinov, il rend hommage à Bertrand Dorny, et Philippe Boutibonnes à Ezra Pound –dialogue incessant entre les vivants et les morts.
La collection « Placards » présente le texte et l’image sur une même page, de front. On sera attentif à l’ « Air divais » d’ Anne Arc et Serge Chamchinov, aux « Vents » canalisés par Isabel Echarri, la complice habituelle du dramaturge Fernando Arrabal, par Alain Suby et par l’appel « à ne pas éteindre le soleil » de Frédéric-Jacques Temple, le vieil ami de Cendrars, disparu tout récemment.
Natif de La Rochelle où l’on va fêter le 200ème anniversaire de sa naissance, Eugène Fromentin, aussi grand romancier (Dominique) qu’il était peintre orientaliste (Un été dans le Sahel), est ici accompagné par les peintres Thierry Le Saëc et Claude Faivre, par le photographe Alain Bouillot et par le duo composé du poète Henri Droguet et de Giraud Cauchy. La collection s’intitule simplement « Fromentin »
« La Dernière Bande » -titre d’une pièce de Samuel Beckett- est une collection en train de se faire, où l’on trouve les photographies troublantes d’Alain Nahum, tandis que le romancier et cinéaste Philippe Claudel s’attache à y faire le tour de « Mon cerveau ».
Concepteur du livre pauvre, Daniel Leuwers en est le chef d’orchestre mais quelquefois aussi le soliste, spécialement quand, à l’occasion du récent confinement de mars 2020, il a entrepris d’écrire la centaine de poèmes dont Baudelaire n’a laissé que les titres. Il nous offre ainsi l’occasion d’écouter la « dernière bande » de textes que l’auteur des Fleurs du mal n’a pas eu le temps de coucher sur le papier. Pour chacun de ces textes, des peintres fidèles des livres pauvres se sont à leur tour glissés dans l’aventure. Aux « variations Baudelaire », se sont associés, entre autres, Philippe Agostini, Julius Baltazar, Hélène Baumel, Claire Cuenot, Dominique Lardeux, Dagmar Martens, Yves Picquet, Anne Pourny, Raâk, Laurette Succar et les déjà mentionnés Boutibonnes, Chamchinov, Faivre, Michel Remaud et Coco Téxèdre.
Il convient enfin de saluer celui qui fut longtemps le plus actif des auteurs du livre pauvre, Michel Butor, qui les qualifiait volontiers d’ « or pauvre ». Son livret « Au saut du lit », réalisé peu avant sa mort en 2016, est l’un des rares qui ait connu un prolongement typographique dans la collection « Affrontements » (formule où Michaux décelait les forces contradictoires et complémentaires qui meuvent l’écrit et le peint) aux éditions « Index ». On ne manquera pas de saluer ici Apollinaire qui rêvait que les mots imprimés puissent avoir la même liberté que les mots manuscrits –ô chers calligrammes, très proches ancêtres du livre pauvre…
Avant de fêter leur vingtième anniversaire en 2022, les livres pauvres auront eu grand plaisir à faire étape à Dives-sur-Mer.